Les membres de la coopérative : Mehdi Meslob
Je m’appelle Mehdi Meslob et je suis paysan sur la ferme de Saint-Juan dans le Doubs. Celle-ci comprend deux entités, “La Ferme de Saint-Juan” qui s’occupent de la vente directe et l’entité “EARL de la ferme” avec les bovins.


La passion de l’agriculture et de l’élevage depuis l’enfance
J’ai grandi dans la ferme que j’ai reprise. Historiquement, la ferme a appartenu à mes grands-parents ainsi qu’à mon oncle. J’ai grandi à 300 mètres de l’exploitation où j’y passais tout mon temps. Depuis tout petit, j’ai toujours eu envie de reprendre la ferme. J’ai eu d’autres expériences avant de décider de m’installer et repris l’exploitation le 1er octobre 2016. Elle faisait à l’époque 70 hectares et 170 000 litres de lait de référence avec une trentaine de vaches laitières. Aujourd’hui, la surface d’exploitation s’élève à 90 hectares, 35 vaches laitières avec très peu d’élevage de renouvellement de génisses et beaucoup d’autres ateliers qui y ont été développés. Toute l’exploitation est en saillie naturelle avec un taureau Salers et des taureaux Montbéliards et Simmentals. Les porcs sont de races Corse et Duroc. J’aime dire que je suis en polyculture, polyélevage. Je suis situé exclusivement sur la commune de Saint-Juan.


Un respect du bien-être animal et des produits 100% naturels
Nous avons fait le choix de ne plus castrer nos porcs ni écorner nos vaches. On essaie de faire en sorte que nos animaux vivent le plus naturellement possible. De la même façon, on essaie de rendre nos produits finaux les plus naturels possible avec le moins d’ajouts. Nos charcuteries c’est du sel et du poivre et donc pas d’ajout d’épices toutes prêtes. Nos champs sont sans aucun intrant. Même les produits autorisés en bio, nous ne les utilisons pas. Nous avons d’ailleurs commencé la conversion à l’agriculture biologique en mars 2024, afin de mettre un nom et un logo sur nos pratiques.
Un équilibre entre les différentes activités de la ferme
L’avantage d’avoir plusieurs activités sur l’exploitation est de pouvoir les compenser et de répartir les risques. Une année sèche peut rendre l’activité de maraîchage plus compliquée avec en plus une perte de la production de lait. D’un autre côté, cette période est propice à la naissance de porcelets. En faisant le choix de diversifier son activité, les années peuvent s’équilibrer. Car pour l’anecdote une année où il fait beau tout l’été est considéré par la société comme un bon été, mais pour un paysan, un temps qui dure n’est jamais un bon temps. Une année où il fait beau tout l’été peut aussi être une très bonne année à la vente (marchés festifs, viande pour barbecue, etc.).


L’organisation de l’exploitation et les différents ateliers de la ferme
Officiellement, je travaille seul à la ferme avec une salariée et une apprentie, ce qui représente deux salaire et demi. Il faut également compter toute “la main-d’œuvre familiale” qui gravite autour soit mon épouse, mon petit cousin retraité ainsi que mes enfants. L’objectif serait d’être quatre associés sur l’exploitation avec un associé à la tête d’un atelier. Un atelier équivaut à une production sachant que la structure se définit par : un atelier porc ; un atelier bovin lait ; un atelier bovin viande et un atelier maraîchage.
Actuellement, l’exploitation est constituée ainsi :
- un atelier laitier avec 240 000 litres de référence ;
- du bovin-viande valorisé en direct, une 10 aines de veaux de lait par an et 3 ou 4 gros bovins par an ;
- un atelier porc naisseur-engraisseur de porcs de race Corse, une race très rustique. Les porcs naissent dehors et y restent les huit premières semaines avant un engraissement sur paille. Elles finissent leur engraissement douze semaines en plein air. La transformation et la vente ont lieu à la ferme ;
- un hectare de maraîchage et le reste en herbe ou en équivalent (luzerne ou trèfles) pour les fourrages ;
- 18 hectares de céréales et protéagineux en mélange qui constituent l’alimentation de nos bovins et de nos porcs.


Les points forts de l’exploitation entre héritage AOC, soutien familial et investissements
Je pense que mon exploitation s’inscrit dans l’avenir. L’un des plus gros points forts est d’avoir hérité de la filière Comté AOC par les générations d’avant. Sans cela, je n’aurais pas pu me permettre de faire les mêmes choix comme arrêter les produits phytosanitaires en 2016, investir et me lancer dans l’élevage de porc. Investir dans un parc en pleine air et dans un bâtiment d’engraissement. Sans cet héritage, je n’aurais pas pu développer ce que j’ai créé aujourd’hui. Ma famille me soutient beaucoup. Ma compagne vit ce projet avec moi tout comme mes enfants. Mon fils aîné étudie actuellement au lycée agricole à Valence. J’ai également l’expérience de ma belle-famille qui s’occupe de la vente directe. Tout cela constitue une grande force pour mon activité.
À contrario, la localisation du site d'exploitation peut apparaître comme un point faible. L’exploitation se situe au milieu du village. Cela n’est pas toujours pratique notamment lorsqu’il s’agit de faire pâturer les vaches. Toutefois, il s’agit d’un énorme avantage pour la vente directe. Mon parcellaire est assez morcelé. Je n’ai pas forcément de grosses parcelles mais les terres sont assez proches les unes des autres. J’ai au total 55 hectares de terres disponibles pour faire pâturer 40 vaches laitières, ce qui est un avantage. Aussi, nous avons fait le choix de ne pas faire d’affouragement en vert. Nos vaches vont pâturer toute la saison et nos génisses toute l’année.
La passion du métier et l’amour des animaux comme moteurs
Comme j'aime en plaisanter mon activité annexe consiste à développer d’autres activités sur mon exploitation. Je suis également un mordu d’équitation. Je possède des chevaux et fais de l’attelage. Je participe aussi à la Route du Poisson. Il s’agit d’une grande manifestation internationale d’attelage dans le nord de la France. Aussi, j’essaie de consacrer du temps à ma famille et à mes enfants qui soutiennent mes activités.
Je suis convaincu que si l'on veut avoir du temps, on peut en trouver. Cela implique de ne pas se laisser submerger par le travail et ne pas oublier les personnes qui nous entourent. Pendant les semaines de récolte du foin, tout le monde est là pour m'aider et je suis heureux de pouvoir passer du temps avec eux. Cela me permet ensuite de leur consacrer du temps le reste de l'année. À partir du 15 novembre, j'ai l'habitude de participer à un marché de Noël qui se déroule sur cinq week-ends consécutifs. Pour pouvoir y aller, j'ai besoin de la présence de ma famille à mes côtés. C'est pour cette raison qu'il est important pour moi de prendre du temps pour eux le reste de l'année.
En tant que paysan, les journées de travail sont longues, mais la flexibilité disponible est un véritable luxe en comparaison avec un emploi salarié. Cela me permet d'être présent pour mes enfants en les emmenant à leurs activités ou en les récupérant à l'école lorsqu'ils sont malades. Bien sûr, il y a des périodes de l'année où le travail est très intense, mais cela dure quelques semaines et le reste de l'année est plus facile à gérer. Être paysan demande un engagement important et une véritable passion pour l'élevage. C’est difficile de réussir dans ce métier sans cette passion. Travailler en dehors du système traditionnel peut être un véritable défi, mais cela en vaut la peine pour ceux qui sont vraiment engagés. Enfin, être agriculteur offre une grande liberté en termes de gestion de son temps, ce qui facilite les démarches quotidiennes telles que les rendez-vous chez le médecin.
“J’ai toujours eu la passion de l’élevage et n’ai jamais su vivre sans animaux.”
Je suis passionné par mes animaux et par tout ce que je réalise dans mes champs. J’aime beaucoup expérimenter de nouvelles variétés et de nouvelles espèces. J’apprécie aussi d’expérimenter de nouvelles façons de travailler. Le métier d’agriculteur est une grande expérience de tous les jours. Le fait d’essayer est toujours très intéressant.



Une fierté d’appartenir à la coopérative et un respect des traditions
En 1991, l’année de ma naissance, la fruitière de Saint Juan a fermé. À ce moment-là, mon oncle et ma grand-mère ont rejoint la fruitière d’Aïssey, au village d'à côté. Celle-ci a fermé dix-huit mois après. Malgré ces fermetures successives, ma famille s’est toujours battue pour rester en fruitière. À l'époque, rester en fruitière n’était pas un choix aisé. Pour des raisons économiques, beaucoup faisaient le choix de travailler pour des industriels et des privés.
“Ma famille s’est battue pour défendre une filière et je les remercie encore pour cela.”
Depuis 1993, “l’Earl de la ferme” se trouve à la coopérative du Plateau de Bouclans. Cela a un sens pour moi de faire partie d’une coopérative. Je pense que l’on partage un beau projet. Les générations travaillent ensemble. Nous avons la chance d’avoir un conseil d’administration où toutes les générations d’agriculteurs et paysans sont représentées. Tout le monde a sa place. Il y a un réel respect entre les aînés et les plus jeunes. Nous avons la possibilité de partager des projets nouveaux et atypiques dans le respect et la bienveillance. Je suis fière d’en faire partie.
Les nombreux avantages du métier d’agriculteur
Mon cadre de vie est magnifique. J’habite dans un village de 180 habitants. Je viens également d’acheter une maison avec 250 000 m2 de jardin où pâturent mes vaches. Cela représente un grand terrain de jeux pour mes enfants. Aussi, j’apprécie d’être maître de mon emploi du temps.
Pour moi, ma profession a une signification importante. Les gens ont besoin des agriculteurs pour se nourrir trois fois par jour. J'ai la chance de suivre le cycle de production de mon produit, depuis la céréale nourrissant mes vaches jusqu'au Comté AOC vendu dans les rayons de notre coopérative, sur notre site e-commerce ou dans les magasins de Juramonts. Contrairement à d'autres producteurs en France, nous maîtrisons toute la chaîne de production, de la transformation à la vente. La vente directe nous permet également de recevoir des retours sur la qualité de nos produits, ce qui est très valorisant sur le plan humain. Par exemple, lorsqu'un client nous envoie une photo d'une blanquette de veau qu'il a cuisinée avec l'un de nos colis, accompagnée d'un message de satisfaction, cela nous procure une immense satisfaction. Bien sûr, le côté financier de la vente directe est très intéressant pour les producteurs, mais il y a aussi un aspect humain, celui de faire plaisir aux consommateurs.
“J’apprécie de faire plaisir aux gens et de les nourrir sainement.”
De plus, les deux avantages d’être en Comté AOC sont :
- une meilleure valorisation du lait qui permet de garder des petites structures à taille humaine ;
- un nombre important de points de vente et de fruitières au bénéfice de tous les petits producteurs.
“L’homme en filière Comté AOC est la clé de voûte de la filière.”
Un agriculteur atypique en zone AOP Comté
En tant qu'agriculteur en zone AOP Comté, je suis soumis à des contrôles plus fréquents que mes collègues. Mon exploitation en polyculture polyélevage étant atypique dans cette zone, il semble que je sois régulièrement tiré au sort pour ces contrôles. Alors j’en plaisante souvent en disant que le chapeau ne devait pas être très grand étant donné que mon nom ressortait souvent.
Dans le milieu agricole, la peur de la différence et de l'autre est souvent présente. Mais cela ne m'a jamais empêché de suivre ma voie et de faire les choix les plus adaptés pour mon métier. C’est important dans ce milieu de ne pas craindre le regard des autres et de faire preuve d'audace pour réussir.
“J’étais le seul bronzé du lycée. Aussi, j'ai été habitué à être celui qui n’est pas comme les autres. Dans mon métier, cela m’a permis de me détacher du regard des autres dans mes pratiques.”
En tant que chef d'entreprise, je considère que l'élevage de porcs est un choix judicieux pour mon exploitation. Le porc est la viande la plus consommée en France et offre une grande variété de produits et de possibilités de transformation. L'élevage de porcs nécessite moins de surface que d'autres types d'élevages, ce qui permet une meilleure valorisation des terres disponibles sans avoir besoin de s’agrandir. Bien que je sois musulman, cela n'a jamais été un obstacle dans mon choix d'élever des cochons. Enfin, je suis fier de dire que 95% de ma production est vendue localement en Franche-Comté.


Un engagement auprès de la confédération paysanne
Je suis simple adhérent à la confédération paysanne. Ma compagne, elle, est membre du conseil d'administration du département et au bureau. Elle est aussi représentante de la confédération pour le Comité grands prédateurs. À mon niveau, j’essaie d’apporter des idées. C’est un syndicat dans lequel je me retrouve. Nous défendons :
- une agriculture à taille humaine ;
- un objectif d’un million de paysans (nous en sommes encore loin) ;
- une agriculture diversifiée et relocalisée (maraîchage sur les premiers plateaux du Doubs, élevage de porcs, etc.)


Les avantages d’être en filière comté
La meilleure valorisation du lait qui permet de garder des petites structures plus à taille humaine. Notre cahier des charges interdit par exemple le robot de traite et on aussi une limitation du nombre de vaches laitière par unité de main d’œuvre, une limitation de production à l’hectare, une limitation des intrants et donc une limite de la production sur l’exploitation. Il y a toujours eu cette volonté de rester dans des fermes à taille humaine. L’homme dans la filière comté est la clé de voute de la filière. Le comté fait le choix de un homme une voix (système coopératif). Cela veut dire que tu aies 100 000 litres de lait ou 500 000 litres de lait, ta voix elle compte pareil. Cette notion de l’homme qui est la clé de voute de la filière est encore plus appuyée dans le nouveau cahier des charges.
La filière comté offre un avantage non négligeable pour les autres productions diversifiées et les petits producteurs voisins qui vendent d'autres produits. Il y a un grand nombre de points de vente dans lesquels ils peuvent vendre leurs produits, car les magasins de fruitières à comté vendent non seulement du comté, mais également du fromage de chèvre, des œufs, des terrines et des saucisses provenant des producteurs voisins. Par conséquent, il existe un tissu commercial assez remarquable par rapport à d'autres régions. Cette souplesse permet aux agriculteurs de pouvoir se tromper et de réinvestir leur argent comme ils le souhaitent. Certains investiront dans du matériel pour améliorer leurs conditions de travail, tandis que d'autres rémunéreront leur main d'œuvre pour avoir plus de temps libre. D'autres encore investiront leur argent ailleurs. Pour ma part, j'ai décidé d'investir dans d'autres productions sur ma ferme pour diversifier mes activités et dans une logique à long terme pour partager le projet avec plusieurs personnes.


Les jeunes et l’agriculture entre limites et opportunités
Notre région a la chance de disposer de jeunes motivés pour s'installer, ainsi que d'un engouement considérable pour l'élevage. La filière est lucrative, et on dit souvent qu'un emploi direct en agriculture peut générer jusqu'à sept emplois indirects, ce qui montre sa dynamique et sa capacité à créer des opportunités professionnelles. En plus des paysans, de nombreuses personnes gravitent autour du monde agricole, ce qui renforce encore plus cette dynamique. Les jeunes sont intéressés par les métiers de l'agriculture, mais aussi par d'autres professions telles que celle d'inséminateur ou de contrôleur laitier. Dans notre région, il n'est peut-être pas nécessaire de promouvoir les métiers de l'agriculture, car la filière elle-même s'en charge efficacement.
Néanmoins, la plus grande difficulté actuelle est le prix d’une reprise d’exploitation. À force de capitaliser dans les outils de production, les montants à investir sont colossaux. Il y a des risques d’endettement réels à ne pas négliger.


Les difficultés de l’agriculture en France hors filière AOC Comté
Le problème de l’agriculture ailleurs en France hors filière Comté est qu’il n’y a pas eu de répartition des marges. La filière Comté AOC pense à tous ses maillons de la chaîne : producteurs de lait, transformateurs, affineurs et metteurs en vente. La marge finale est partagée. Ailleurs en France, l’inconvénient est que le producteur vend à un industriel. Une fois le lait vendu, le producteur se décharge de son produit et il n’en entend plus parler.
La marge est alors réalisée après. Je dis souvent :
“Les paysans pour qu'ils gagnent leur vie doivent retrouver leur facturier.”
Un producteur de lait industriel est dépendant du prix fixé par l’acheteur.
Nous sommes le seul corps de métier en France qui a le droit de vendre à perte. La vente à perte est interdite dans tous les domaines de France, un éleveur, un céréalier vend très rarement à son coût de revient. Il arrive à l’équilibre car il touche des subventions de l’Europe. L’agriculteur doit être en mesure de retrouver une logique dans sa filière. En AOC, ce qui nous permet de percevoir un revenu est de maîtriser notre filière d’un bout à l’autre de la chaîne. Selon moi, la solution est de s’organiser en petite coopérative où l’adhérent a la possibilité de s’exprimer et où sa voix compte. Les grosses coopératives montrent que ça ne marche pas mieux qu’un privé pour l’agriculteur. Il faut donc selon moi rester en petite coopérative.
L’exemple de Bouclans est parfait, on est petit, 20 ou 21. Et donc quand on est 21 autour de la table, notre voix a certainement beaucoup plus de poids que quand on est une assemblée générale à 600 personnes. Si l’on maîtrise sa filière, on maîtrise son prix de vente et donc sa marge. Si l’agriculture est rémunératrice, on peut alors se permettre de faire d’autres choix de production, peut-être plus onéreux mais plus vertueux d’un point de vue écologique et social. Donc c’est une marche en avant et tout le monde va vers le haut. Alors qu’aujourd’hui, c’est la guerre des prix en grande surface. Donc il tire sur les industriels, et donc forcément sur le producteur. Et puis quand le producteur a son prix qui est revu à la baisse ou qui stagne. Les charges elles augmentent. Le seul moyen que tu as de t’en sortir c’est de tirer sur les charges et donc bien souvent sur la qualité du produit. Ça c’est donc le gros problème.
Comment se rendre à l’EARL de la ferme ?
Le local de vente est tenu en famille et ouvert :
- le jeudi soir de 17h à 19h ;
- le samedi de 10h à 12h30.
L’adresse est le 9 bis Grande Rue à Saint-Juan.
Il est possible de visiter la ferme et ainsi de découvrir les méthodes et process de production.
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