Pour moi, c'est très clair : si on m'enlève la liberté que j'ai dans l'organisation de mes après-midis, je change de métier.
Notre fabrication se fait le matin, sur un temps bien cadré. On sait à quelle heure on commence, on sait à peu près à quelle heure on finit. C'est un rythme soutenu, mais structuré. Et cette rigueur du matin nous permet ensuite de garder un temps l'après-midi que l'on peut organiser comme on veut.
C'est précisément pour ça qu'on démoule le matin : si on repoussait cette étape à l'après-midi ou au soir, il faudrait revenir à la fromagerie à 18h. Et dans ce cas-là, entre midi et 18h, on reste bloqué, on ne peut rien prévoir, et surtout… on a encore la tête au travail.
Aujourd'hui, mes gars savent qu'à midi, ils ont fini. Ils ont leur après-midi libre et ils reviennent seulement le lendemain matin, à 5h. Ça change tout, en termes de liberté d'esprit, de temps personnel, de qualité de vie.
Dans mon cas, c'est un peu différent parce que j'ai d'autres responsabilités à gérer l'après-midi. Mais cette liberté-là reste essentielle : je peux choisir de déplacer certaines tâches, de prendre l'air quand il fait beau, de m'avancer quand il pleut… C'est une flexibilité rare dans beaucoup d'autres métiers.
Et puis attention : on n'est pas dans le monde agricole pur. On est salariés d'une entreprise. On a des congés payés, des jours de repos, un week-end sur deux de libre. Quand quelqu'un travaille le week-end, il récupère un jour dans la semaine. Ce n'est pas le même système que celui des agriculteurs qui travaillent pour eux, sans filet, sans limite parfois.
Un monde d'entreprise, pas seulement agricole
Et ça, c'est une distinction importante : la fromagerie, c'est une entreprise. C'est un mode de fonctionnement avec ses règles, ses horaires, ses droits et ses devoirs. Ce n'est pas toujours simple à faire entendre, même au sein de la coopérative.
Par exemple, notre président, qui est lui-même agriculteur, doit faire un vrai effort pour changer de posture quand il parle avec nous, salariés. Il ne peut pas venir avec une vision 100 % agricole. Car sinon, son discours ne colle ni avec la réalité des salariés, ni avec celle du fromager, ni avec les magasins.
C'est la même chose pour les équipes des magasins : elles fonctionnent aussi comme une entreprise. Et ça demande parfois aux membres de la coopérative — qui ont souvent toujours travaillé pour eux-mêmes — d'apprendre à penser en mode entreprise. C'est une autre culture, un autre rapport au temps, au travail, à l'organisation.
Moi, j'ai fait des études agricoles, mon oncle était agriculteur, j'ai beaucoup d'amis dans ce milieu… Je le connais bien. Mais je sais aussi que ce n'est pas le même monde. Et pour que tout fonctionne, chacun doit comprendre celui de l'autre.