Les membres de la coopérative : Dominique Jeannerot

De l’industrie pétrochimique à l’agriculture AOC

Ancien salarié de l’Industrie pétrochimique, je me suis reconverti et ai racheté une exploitation hors cadre familial le 1er avril 2000.

Je me suis installé en individuel (EARL) sur une surface d’environ 120 hectares, à Osse, un petit village du Doubs.

L’exploitation compte une 40 aines de vaches laitières sur un troupeau de 120 bêtes. La production annuelle de lait AOC Comté s’élève à environ 270 000 litres plaqués Comté. Selon les années, je cultive entre 40 et 50 hectares de céréales

Investir pour « survivre » ou pour se donner plus de chances de vendre, malgré les contraintes de la filière AOC Comté.

J’ai travaillé dix ans dans l’industrie pétrochimique avant de m’installer en tant qu’agriculteur. La mentalité des industriels et des dirigeants est d’investir. Une entreprise qui ne se développe pas est une entreprise qui stagne et qui régresse.

En agriculture c’est pareille et cela se peut se traduire par un agrandissement de son exploitation et par des investissements dans du matériel performant.

Qui dit investissements dit aussi remboursements. Il s’agit d’un cercle vicieux aussi inévitable que nécessaire.

Les agriculteurs qui arrivent en fin de carrière et qui ne font plus d’efforts d'investissement prennent le risque de ne plus pouvoir revendre leur exploitation. Donc lorsqu’ils arrivent à la retraite, leur ferme est obsolète et intransmissible. Si l’on souhaite que l'exploitation survive, il faut investir.

Toutefois, cette logique ne va pas dans le sens de la filière Comté AOC. Comme en convient également Didier : « la filière AOC cherche avant tout et surtout à assurer la survie des petites exploitations ».

Je vais être amené à arrêter dans les prochaines années et après beaucoup d'hésitations, j’ai finalement décidé d’investir dans la mise aux normes de mon exploitation. Cela augmente les chances de pouvoir la transmettre. En résumé, les investissements représentent la clé de survie d’une exploitation. Plus on entretient notre exploitation, plus on a des chances de la transmettre et la vendre facilement. En ce sens, il est difficile “de rester petit”.

L’investissement pour assurer la vie d’un GAEC qui s’agrandit.

Quand vous avez une structure qui fonctionne avec 2 associés et qu’au fil des années il y a les enfants des 2 associés qui rejoignent le GAEC. Ils se retrouvent donc à 4 sur la même structure. La structure ne peut pas faire face avec le même chiffre d’affaires. C’est mathématique.

Les instances agricoles demandent de justifier l’augmentation de revenu qui permettra d’agrandir la structure de 2 à 4. On peut en faisant des efforts améliorer la marge, mais ça ne suffit pas, il faut donc s’agrandir pour augmenter « considérablement » les revenus pour assurer la vie de la nouvelle exploitation.

Est-ce que le territoire peut permettre et « accepter » ces agrandissements ?

Cela devient des décisions politiques qui acceptent ou non ces agrandissements de projets. Mais en contrepartie, c’est compliqué de dire à un jeune qui veut s’installer sur son territoire : « Non tu ne peux pas car il n’y a pas la place ».

Et d’ailleurs la place « existe » il suffit juste de ne pas accepter d’augmenter les surfaces agricoles aux détriments des surfaces commerciales.

L’achat d’une ferme hors cadre familial comme revanche sur la vie

J’ai longtemps travaillé seul sur mon exploitation et cela n’a pas toujours été facile. Mon installation a été « un parcours du combattant » pour plusieurs raisons :

- une installation hors cadre est toujours compliquée.

- Mais aussi parce qu’il y a 40 ans, j’ai eu un gros problème de santé. Et suite à ce problème, les banques et les instances agricoles n’étaient pas très motivées pour me prêter de l’argent pour que je puisse partir tout seul. Au niveau santé, j’ai une épée de Damoclès au dessus de la tête, donc c’est trop risqué pour eux de se lancer dans les investissements. J’ai donc toujours investi sans aucune assurance de prêt.

Ce qui n’a pas été évident moralement. J’ai eu la chance d’être soutenu par mon épouse et par ma famille. Malgré les difficultés, je suis fier d’avoir acheté ma ferme, remboursé les investissements et produits du lait à Comté.

Nous avons eu 3 enfants. Nous avons perdu une fille. Mes 2 enfants ne sont pas intéressés pour reprendre l’entreprise. L’ainé a fait des études et il est ingénieur en informatique et il travaille au Canada et la deuxième est dans un master science de la terre. Vers Clermont Ferrand. Quand ils viennent passer quelques jours à la maison, si j’ai besoin d’un coup de main, ils viennent m’aider. Mais pas plus. Ils ne souhaitent pas reprendre l’exploitation. Je suis donc content d’avoir trouvé Didier. En raison de mes soucis de santé, j’ai dû faire des choix. C’était soit arrêter mon activité, soit trouver un salarié pour me seconder et me remplacer. Financièrement et pour donner suite aux investissements, il était impossible de s’arrêter. J’ai donc fait le choix de chercher un salarié. J’ai donc échangé avec Didier dans la mesure où mes enfants ne souhaitaient pas reprendre l’exploitation. Je lui ai expliqué clairement la situation et si ça l’intéressait. Car je peux être encore sur l’exploitation pendant quelques mois et jusqu’à 2, 3 ans. Mais de toute façon, j’ai pris la décision qu’au plus tard à 60 ans je transmettrai.

Je m’appelle Didier Colly et je suis, depuis le printemps 2022, salarié agricole chez Dominique Jeannerod. J’ai fait toutes mes études dans l’agricole. Mon père est agriculteur et mes frères sont installés en GAEC avec lui sur la ferme familiale. J’habite à 20 minutes de Osse. Je ne suis pas fâché avec ma famille, mais j’ai fait le choix de ne pas m’installer en GAEC

Renouvellement du troupeau :

En termes de renouvellement de troupeau, toutes les génisses sont élevées dans le but d’intégrer le troupeau laitier. Dans mon exploitation, l’âge du bovin n’est pas toujours la caractéristique première du renouvellement. Tant qu’elles sont en bonne santé, c’est-à-dire pas de problème sanitaire, produisent un veau par an, et me font du lait, alors nous continuons à travailler avec elles. Selon moi, la belle vache est celle qui remplit le tank à lait sans souci sanitaire. Ce n’est pas forcément celle qui a un beau pie. Si une vache vieillit dans le troupeau, cela signifie qu’elle se sent bien dans son environnement. Certaines vaches peuvent avoir de l’âge, entre huit et dix ans.

Les caractéristiques de l’exploitation et ses points forts

Au niveau parcellaire, les terres sont regroupées entre Osse et Nancray. Il s’agit de grands îlots.. Comme point fort, les terres sont labourables, cultivables et craignent moins la sécheresse car les parcelles sont profondes sans trop de cailloux (donc elles emmagasinent plus d’eau)

Quelles sont les activités en dehors de la ferme ?

Je fais partie de ces générations d’agriculteurs que ça ne dérange pas de travailler 12 à 15 heures par jour. De rentrer le soir à 8h30, 9h. Quand j’ai fini la traite le soir, si ill y a encore un truc à faire, je vais le faire et je rentre après à la maison.

Donc ça laissait très peu de marge pour les loisirs au grand damne de ma femme.

Mon épouse travaille à l’extérieur, mais comme toute conjointe d’exploitant, elle subissait les mêmes contraintes que l’exploitant. Il n’était pas question d’arriver le vendredi soir et de dire : « on part en week-end ? » On a plutôt annulé des mariages, d’autres fêtes et cela a donc été des sources de conflits.

J’ai toujours vu mon père bosser du matin au soir, j’ai toujours baigné dans ce style de vie, donc ça ne m’a jamais posé de problème de bosser.

Aujourd’hui et depuis maintenant 2 à 3 ans, mes problèmes de santé commencent à s’amplifier. Je vois dans mon entourage des amis qui vivent des gros problèmes de santé. On s’aperçoit que la vie est courte.

Avec ma femme, nous avons acquis une maison dans le Sud-Ouest et plus précisément le Périgord, sa région d’origine. On essaye d’alller y passer quelques jours le plus souvent possible ( 3 à 4 fois par an). On en profite beaucoup plus maintenant que Didier est là. Ça permet de donner encore plus de responsabilité à Didier sur l’exploitation.

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Les raisons de faire partie de la coopérative du Plateau de Bouclans

Il s’agit d’une raison historique. Mon père était administrateur et donc adhérent d’une importante coopérative. J’ai donc toujours baigné dans cette philosophie. Mon prédécesseur faisait partie de la coopérative du plateau de Bouclans. Il s’agit donc d’une continuité.

Je pense que nous avons davantage notre mot à dire, notre avis à donner que chez un industriel. En étant à la coopérative, nous savons pourquoi nous sommes limités dans la production de lait. Nous sommes impliqués dans toute la chaîne de production jusqu’au produit fini, le Comté AOC. De la traite, à la fabrication du fromage jusqu’à la vente au consommateur, c’est tout un cycle qui fonctionne.

Dans une coopérative, l’union fait la force. Cependant, il est nécessaire que chacun dispose d’un système viable. Il est aussi important de s’intéresser aux objectifs de chacun, de penser à l’avenir et de rester à la page si l’on souhaite transmettre son exploitation.

Par le biais des magasins, on va vraiment jusqu’au consommateur. Le matin on trait nos vaches, on sort du lait et l’après-midi on va vendre le fromage. C’est donc tout un cycle qui fonctionne.

L’évolution du métier d’agriculteur, ses avantages et ses difficultés

J’ai choisi mon métier dans la mesure où je me suis reconverti et suivi une formation pour pouvoir m’installer. Je n’ai jamais rien regretté et réalise avant tout un métier que j’aime.

On n’a pas de patron sur le dos, on est son propre patron. Je serais incapable de revenir salarié. Malgré les contraintes administratives, l’avantage du métier d’agriculteur est de pouvoir gérer son temps librement.

Un autre avantage est de travailler en plein air. Selon moi, avril et mai sont les plus beaux mois. Il y a une multitude de verts. La campagne est magnifique et notamment grâce au travail des paysans.

Il fut un temps, je vous aurai dit qu’on a l’impression d’être utile pour la planète, pour l’écologie, pour les gens car on leur produit de la nourriture. Tout cela est le côté « un peu bobo du métier ». Avec les années vous vous rendez compte que les gens, « ils n’en ont rien à foutre de vous ». La mentalité a beaucoup changé, il y a encore peu, pour certains : « agriculteur, ça veut dire pollueur, mal traitance animal ».

Malheureusement, à cause des médias, la vision des agriculteurs s’est ternie. Les agriculteurs ont beaucoup été critiqués avec une image faussée de pollueurs et des cas de maltraitance animale. Bien qu’il soit difficile de faire évoluer les mentalités, c’est à nous de changer l’image du métier.

Les mentalités sont longues à faire évoluer.

Comme autre difficulté et menace, il est important de souligner la diminution des surfaces agricoles au profit des surfaces commerciales.

Un usage limité des phytosanitaires et des actions pour la biodiversité

Contrairement à ce qui a pu être dit, il semble important de rappeler que les agriculteurs utilisent très peu de produits phytosanitaires. Cela coûte cher et ce n’est absolument pas un plaisir de dépenser notre argent dans ces produits. En règle générale, on en utilise le minimum, juste ce qu’il faut.

L’utilisation peut-être nécessaire, car la plante est malade et il faut intervenir.

Ne pas utiliser de fongicides, c’est comme ne pas utiliser de médicaments contre une maladie.

Il faut prendre en considération le fait que l’environnement et le climat ont évolué tout comme les plantes. Les maladies évoluent également et deviennent résistantes. Si l’on ne soigne pas une plante, elle n’est plus capable de se défendre seule. Dans ce cas, nous sommes parfois obligés d’utiliser des produits phytosanitaires.

J’aime bien prendre l’exemple de la tourista qui est la maladie du touriste. Car le touriste n’est pas habitué à boire cette eau. Car il n’a pas grandi dans cet environnement, dans ce climat. Votre organisme n’a pas pris l’habitude de combattre les bactéries. Et de notre côté, les plantes ont évolué et elles ne savent pllus combattre les maladies. Donc si vous ne les traitez pas avec des produits phyto à dose mini pour leur donner une résistance et ben vous n’avez plus rien. Ce n’est pas par plaisir qu’on fait ça.

Avec le changement climatique, il va falloir songer à penser à d’autres plantes moins consommatrices d’eau.

Les agriculteurs participent à l’entretien du paysage des campagnes. En replantant des haies, nous participons à la préservation de la biodiversité.

La campagne est belle car les paysans travaillent les champs, les haies… Sans eux, ça serait de la friche partout.